Les 30 ans de Porco Rosso : Aviation, Italie fasciste et Commune de Paris.

«Je préfère encore être cochon décadent qu’un fasciste.» Porco Rosso.

Porco Rosso (Porco Rosso, 1992)Le film Porco Rosso sortit le 18 juillet 1992 au Japon. Pour les 30 ans du film, revenons sur ses origines et ses inspirations.

La passion de Miyazaki pour l’aviation.
Né le 5 janvier 1941 à Tokyo, Hayao Miyazaki fut marqué dès l’enfance par un Japon dévasté par la Seconde Guerre. Son père, Katsuji Miyazaki, était directeur de Miyazaki Airplane, une entreprise en aéronautique appartenant à son frère qui produisait des gouvernes pour des avions de guerre Mitsubishi A6M Zero. A 12 ans, Miyazaki vit un hydravion et fut impressionné. Il apprécie les écrits de Roald Dahl (pilote de la Royal Air Force durant la Seconde Guerre), de Jean Mermoz, d’Antoine de Saint-Exupéry. C’est dans ce contexte général que Miyazaki se passionna pour l’aviation qui est un point clef de son œuvre : Conan, le fils du futur (1978), Nausicaa (1984), Le vent se lève (2013)… et Porco Rosso en 1992.

Le cochon, personnage récurent chez Miyazaki.
En 1995, Miyazaki fut interrogé par le magazine Positif qui lui demande comment lui est venue l’idée d’un cochon comme personnage central pour Porco Rosso. Miyazaki répond que «pour les Japonais, le cochon est un animal pour lequel on a de l’affection, mais qu’on ne respecte pas. Pour moi, c’est un animal avare, capricieux, et qui n’est pas sociable. C’est quelqu’un qui ne suit pas de régime, qui fume et qui n’en fait qu’à sa tête. En termes bouddhistes, il a tous les défauts de l’être humain : il est égoïste, fait tout ce qu’il ne faut pas faire, jouit de sa liberté. Il nous ressemble beaucoup ! Quand on est jeune, on est plein d’espoir et l’on pense que l’on sera un héros. Avec l’âge, on se rend compte que l’on n’a pas accompli ce but à cause de l’orgueil, des caprices, des désirs, du goût de la possession. A l’âge mûr, la femme japonaise demande à l’homme si son travail est plus important qu’elle. Et le Japonais lui répond que, si on lui enlève son travail, il n’est plus rien. Le cochon qui ne vole pas devient un cochon ordinaire ! Je dois ajouter que j’aime bien dessiner les cochons.»
Avant et après cet entretien, on retrouve des cochons dans différentes œuvres : L’île au trésor des animaux (1971), Le retour de Hans (1994), Des tigres couverts de boue (1998), Le voyage de Chihiro (2001), Une excursion à Tynemouth (2006)… D’ailleurs Porco Rosso tient son origine dans deux mangas courts où le héros est un cochon.

Les prémisses de Porco Rosso.
En décembre 1984, Hayao Miyazaki écrivit et dessina l’histoire Tahoto no Deban (L’ère des tourelles à canons) pour le magazine de modélisme Model Graphix. L’histoire met en scène un commandant cochon dans un tank qui enlève une fille dont il tombe amoureux. Miyazaki voulait en faire une version animée, mais le réalisateur ne croyait pas qu’un homme d’âge mûr puisse aimer sincèrement une jeune femme qu’il a kidnappée et réussir à gagner son cœur. Sur ce désaccord, le projet fut abandonné.

L'ère des tourelles à canons (1984)
En mars 1989, Miyazaki écrit le manga Hikotei Jidai (L’ère des hydravions) dans Model Graphix. L’histoire se passe dans l’Adriatique à l’été 1929, et Porco Rosso, un cochon aviateur Italien, affronte des pirates de l’air, l’Américain Donald Chuck… Après le petit succès de cette histoire, la compagnie Japan Airlines commanda à Miyazaki une adaptation en moyen-métrage.

La production de Porco Rosso.
L’histoire : En 1929, en Italie, Porco Rosso, un cochon aviateur affronte des pirates de l’air sur fond de montée du fascisme. Mais avant, ce cochon était un homme, Marco Pagot, et il est amoureux de la chanteuse Gina.

La bande-annonce française.

Tous les plans furent dessinés à la main, Miyazaki n’utilisa pas d’ordinateur. 250 personnes travaillèrent sur le film, dont 90 en permanence au studio Ghibli. Au départ, Miyazaki voulait faire un moyen métrage de 45 minutes, et au final ce fut 1H30. La production dura 11 mois. Le 18 juillet 1992, le film Kurenai no Buta (Le cochon rouge vif) sortit au cinéma au Japon, et Porco Rosso fut le plus gros succès de 1992 au Japon. Le titre original est Kurenai no buta car kurenai signifie rouge vif, et buta signifie cochon. Le titre français a gardé le nom italien porco rosso (cochon rouge). La Japan Airlines diffusa le film durant ses vols, et créa une affiche pour l’occasion.

Si vous volez, vous regardez (Publicité de Japan Airlines pour Porco Rosso)
Si vous volez, vous regardez (Publicité de Japan Airlines pour Porco Rosso)

Les musiques sont faites par Joe Hisaishi.

Gina et Marco doivent leur prénoms à Marco Pagot et Gi Pagot, enfants de Nino Pagot, créateur avec son frère Toni de Calimero en 1962. Cet hommage a été fait car Miyazaki a travaillé avec les frères Pagot sur la série animée Sherlock Holmes de 1981, collaboration entre les chaines italienne (Rai) et japonaise (TMS).

Les affiches japonaise et française de Porco Rosso.


Porco Rosso : de la Commune de Paris à la guerre en Yougoslavie.
A l’origine, Porco Rosso devait être un travail léger pour détendre l’équipe qui avait travaillé sur le film d’Isao Takahata, Souvenirs goutte à goutte. Mais la chute du communisme en Europe de l’Est et la guerre en Yougoslavie dès août 1991 influencèrent Miyazaki. C’est ainsi qu’on trouve des références historiques et les orientations politiques de Miyazaki dans le film. Quand Positif demanda à Miyazaki s’il s’est inspiré du Baron Rouge, il répondit que non.
Dans l’entretien pour Positif, Miyazaki expliqua qu’il a situé l’histoire en Europe et plus précisément en Italie car l’hydro-aviation pendant la Première Guerre n’a été utilisée que sur l’Adriatique. Et il trouve l’hydro-aviation italienne dans les années 1920 vraiment belle. Le film se passe aussi sur les rives croates. Il explique que quand il a eu l’idée de ce film, il espérait qu’il n’y aurait plus de guerre sur l’Adriatique, mais ensuite il y a eu la guerre en Yougoslavie. Son souvenir de l’hydravion vu à 12 ans a aussi eu une influence pour le film. Miyazaki connait un peu l’Italie car il y est allé en 1975 pour la préparation de la série animée Marco.

Le film revient aussi sur la montée du fascisme de Mussolini : Les parades militaires dans les rues, la forte présence du patriotisme, les brassards, la police secrète fasciste, les affiches politiques, les billets à l’effigie d’un reptile… A plusieurs reprises, Porco Rosso s’oppose au fascisme et au nationalisme («Je préfère encore être cochon décadent qu’un fasciste.», «Les élans patriotiques, moi je laisse ça aux humains.»).


Dans le film, Gina chante Le temps des cerises. C’est la chanteuse Japonaise Tokiko Kato qui double Gina.

C’est une chanson écrite en 1866 par Jean Baptiste Clément (1836-1903) et dont la musique fut composée par Antoine Renard en 1868. Clément écrivit cette chanson en 1866, lors d’un voyage vers la Belgique. Sur la route des Flandres, il fit une halte à Conchy-Saint-Nicaise. Il fit escale dans la maison située près de l’estaminet du lieu-dit de la poste. La maison entourée de cerisiers anciens inspira l’auteur. En 1871, Clément fut Communard et était présent durant la Semaine Sanglante. En 1882, Clément dédia sa chanson à une ambulancière rencontrée lors de la Semaine sanglante : «À la vaillante citoyenne Louise, l’ambulancière de la rue de la Fontaine-au-Roi, le dimanche 28 mai 1871.»
Le magazine Positif demanda à Miyazaki pourquoi il y a la chanson Le temps des cerises. Miyazaki répondit que c’est parce que « le socialisme a échoué. Cela reflète mon amertume. Pour moi, la chute de la Commune a été à l’origine du bolchévisme. Elle a donné la leçon d’un grand sacrifice. Quand j’étais jeune, je voulais être communiste et j’aimais beaucoup cette chanson. Je n’ai pas pu sauter le pas car j’étais en désaccord avec les régimes soviétique et chinois. Leur conception du communisme me paraissait fausse. Je me suis rendu compte que l’être humain ne pouvait pas être assez intelligent pour accomplir les idées de Marx. »

Les hydravions dans Porco Rosso.
Miyazaki s’inspira de vrais hydravions pour les appareils dans Porco Rosso.
L’hydravion de Porco Rosso est un mélange d’un Savoia S.21, un biplan, et d’un Macchi M.33. Il réunit les deux ailes en une aile monocoque placée au-dessus du fuselage. Ces 2 avions furent conçus pour le trophée Schneider et y participèrent, respectivement en 1921 et 1925.


Le rival de Porco Rosso, Donald Curtiss porte le nom du concepteur du Curtiss R3C, Glenn Curtiss.

Donald Curtis peut aussi être une référence à l’acteur Donald Curtis, surtout avec la ressemblance des affiches de films.

L’hydravion des pirates Mamma Aiuto est inspiré de l’hydravion CANT Z.501 mis en service en 1935. Cet appareil fut souvent utilisé pour le secours en mer, et les marins Italiens le surnommèrent «Mamma aiuto !» («Maman, au secours !»).


Le film fait référence au trophée Schneider, une course d’hydravions de 1913 à 1931. Piccolo dit qu’en 1925 un avion Curtiss a remporté la coupe, c’est là aussi un fait réel : l’Etatsunien James H. Doolittle gagna la course dans un Curtiss R3C-2.

Il y a des combats de la Première Guerre avec des Macchi M.5 italiens contre des Hansa-Brandenburg CC autrichiens.

Durant la scène des pilotes décédés dans la mer de nuage, on voit des avions allemands (Albatros, Gotha), britanniques (Short 184, 1915) et français (Caudron G.3, 1914). Le manga et l’anime montrent aussi les ateliers de construction. Cette scène est inspirée de la nouvelle They shall not grow old (Ils ne feront pas de vieux os en vf) issue du recueil de Roald Dahl, Over to you : Ten stories of flyers and flying de 1946 (A tire d’ailes).


Déjà dans le manga, les avions étaient inspirés des avions italiens des années 1920 : Macchi M.7 (1919), M.41 (1930), Savoia Marchetti S.55 (1924), Fiat CR.20 (1926), Dornier.


Piccolo installe un moteur sur lequel on peut lire Ghibli. C’est une référence à l’avion Caproni Ca.309 Ghibli de l’entreprise Caproni, dont le nom Ghibli inspira Miyazaki pour le nom de son studio en 1985. Une autre référence à Ghibli se voit sur la « pension Ghibli » quand Marco est suivi par la police fasciste.

Au générique de fin, on voit un Deperdussin A Monoplan (1912).

En plus du réalisme historique, il y a un réalisme avec des marques : un paquet de cigarettes Gitanes, un camion Fiat.

Entre passion pour l’aviation, pacifisme et déception d’un socialisme écrasé ou corrompu, Miyazaki a mis une part de lui dans Porco Rosso.

Sources :

https://journals.openedition.org/ephaistos/8248

https://www.buta-connection.net/index.php/longs-metrages/films-de-hayao-miyazaki/porco-rosso?start=3

https://www.buta-connection.net/index.php/longs-metrages/films-de-hayao-miyazaki/porco-rosso?start=4

https://www.buta-connection.net/index.php/autres-oeuvres/mangas-de-hayao-miyazaki/notes-de-reveries#Tah%C3%B4t%C3%B4%20no%20Deban

https://fr.wikipedia.org/wiki/Hayao_Miyazaki

https://fr.wikipedia.org/wiki/Porco_Rosso

https://twitter.com/studioghiblifr/status/887248152650297348?lang=ga

Entretien de Miyazaki pour Positif. Propos recueillis à Annecy par Gilles et Michel Ciment le 4 juin 1993, publiés dans Positif n°412 juin 1995. http://gciment.free.fr/caentretienmiyazaki.htm

Laisser un commentaire