Évolution des personnages Noirs dans les mangas.

Pourquoi si peu de personnages Noirs dans les mangas ?

Les personnages Noirs dans les mangasParmi les reproches faits aux mangas, il y a celui de la faible présence de personnages Noirs, certaines critiques allant même jusqu’à dire que les Japonais sont racistes envers les Noirs. Au-delà des discours réducteurs et sans nuance, il faut voir le contexte japonais, ses liens avec l’Afrique, la diversité noire au Japon. L’article qui suit n’a pas la prétention d’être une analyse sociologique du Japon, mais de voir des grandes lignes qui peuvent expliquer la faible présence de personnages Noirs dans les mangas.

Des personnages Noirs dans les mangas.

Dans des mangas de Tezuka de 1947 à 1989, il y a des personnages Noirs (Américains ou Africains).
Dans les années 1940-1970, ils sont dessinés de manière caricaturale, mais ces physiques correspondent à la vision de l’époque, comme dans des comics américains chez les éditeurs Marvel et Fawcett, et en Europe avec Tintin au Congo, Blondin et Cirage.
Le Japon avait à l’époque peu de lien avec l’Afrique, Tezuka n’avait peut-être même jamais rencontré de personnes Noires.


On trouve des personnages secondaires Noirs dans La nouvelle île au trésor (1947), Le roi Léo (1950), Astro Boy (1952), Kirihito (1970), Demain les oiseaux (1971), Black Jack (1972).

Dans Astro Boy (1950), Tezuka dénonça la situation des Noirs durant l’Apartheid en Afrique du Sud avec l’allégorie des robots. Dans Kirihito et Demain les oiseaux (1971), Tezuka dénonce la situation des Noirs en Rhodésie du Sud. Cela correspond à sa vision humaniste que l’on retrouve dans plusieurs mangas.

Le Chevalier Bleu (Astro Boy, 1965) (2)
Le Chevalier Bleu (Astro Boy, 1965) (2)


Dans Alabaster (1970), James Block, un athlète Noir Américain, échappe à un lynchage raciste, dans sa fuite il tue un homme accidentellement. Il va en prison, et quand il en sort, il veut se venger sous le nom d’Alabaster.

Dans Cyborg 009 de Shotaro Ishinomori (1964), parmi des héros de divers continents, il y a Pyunma, un Africain devenu un cyborg sous le nom de Cyborg 008. En Afrique Pyunma combattait les trafiquants d’armes.
Dans le tome 17, on découvre Ouflu, pays africain fictif colonisé, où des aristocrates Blancs engagent des Noirs qu’ils appellent des renards et q’ils chassent en lien avec la chasse à cour en Europe. L’un des «renards» est Zanzibar, mais quand son pays devient indépendant il participe aux Jeux Olympiques.

Si les représentations physiques des personnages Noirs des premiers mangas de Tezuka et de Cyborg 00 sont caricaturales, le messages est humaniste et progressiste pour son temps car il aborde la question des colonies et la volonté d’égalité.

Dans le manga de volley-ball Sign wa V (1969), il y a le personnage de Jun Sanders qui est métisse Américaine Noire et Japonais. Dans l’adaptation en série télévisée, le personnage de Jun fut jouée par Bunjaku Han, une actrice d’origine taïwanaise maquillée en noire.


Si ce type de pratique étonne en 2020, c’était fréquent à une époque : J. Carroll Naish maquillé en Japonais dans Batman (1943), John Wayne maquillé en Gengis Khan (1956), Christopher Lee maquillé en Fu Mandchu (1965).


En 1978, dans Cobra, une des cyborgs est Noire.

Cobra (1978)
Cobra (1978)


Dans les années 1980-1990, chez Akira Toriyama, on trouve aussi des personnages Noirs. Dans Les histoires courtes (1983), il y a Jeff Patate dans Ackman, et Peter dans Dub et Peter.


Dans Dragon Ball (1984), le premier personnage Noir important est le colonel Black, puis Mister Popo.

Au 25ème tournoi des arts martiaux, il y a Kiela. Il y a aussi des Noirs parmi les personnages très secondaires : un passant, un soldat du Ruban Rouge.


Dans le film Dragon Ball L’armée du Ruban Rouge de 1996, le colonel Black a un physique moins caricatural. Cela montre un changement de style dans la représentation physique.

Colonel Black (Dragon Ball, L'armée du Ruban Rouge, 1996)
Colonel Black (Dragon Ball, L’armée du Ruban Rouge, 1996)

Avec la fin des années 1990 et 2000, on voit que les personnages Noirs sont dessinés sans caricature physique. Dans les suites de Captain Tsubasa, il y a des footballeurs Noirs connus comme Edgar Davids, Samuel Eto’o, Lilian Thuram…


Afro, le héros de Afro Samurai (1999), Killer Bee dans Naruto (1999), Kilik Rung dans Soul eater (2004), Kévin Goodman, un des personnages principaux de Billy Bat (2008), Don et Sœur Krone dans The promised neverland (2016).

Mais dans le film live de 2020, Soeur Krone n’est pas jouée par une actrice Noire.

Krone et Isabella (The promised neverland, 2020)
Krone et Isabella (The promised neverland, 2020)

Liens entre Japon et  Afrique.

Pour répondre à cette question, il faut voir l’histoire du Japon. Les liens entre le Japon et le continent africain remontent à 1579 quand le jésuite Alessadro Valignano arriva au Japon avec son esclave Noir du nom de Yasufe, capturé en Afrique entre 1530 et 1550.A Kyoto, Yasufe rencontra Oda Nobunaga, un seigneur de guerre (1534-1582). Impressioné par la carrure de Yasufe, Nobunaga japonisa le nom Yasufe en Ysuke, et fit de lui un samouraï. Yasuke devint le premier samouraï étranger. Il fut surnommé Kuroi-san (Monsieur Noir). Durant les guerres, Yasuke servit la famille Nobunaga contre Akechi Mitsuhide. Cette histoire inspira le manga Afro Samurai.

Yasuke (dessin de Kurusu Yoshio, 1943)
Yasuke (dessin de Kurusu Yoshio, 1943)


Après l’expulsion des missionnaires chrétiens, le Japon ferma ses frontières de 1650 à 1853, et ne garda que quelques liens commerciaux avec l’extérieur. Le pays ouvrit à nouveau ses frontières face à la marine américaine, et il ne se tourna pas vers l’Afrique colonisée par des puissances européennes, mais l’Asie dont il colonisa des pays. Après la Première Guerre mondiale, le Japon développa des échanges commerciaux avec l’Afrique du Sud et l’Égypte. Après la défaite de 1945, le Japon eut besoin de matières premières, que l’on trouve par exemple en Afrique, pour se reconstruire. Mais le Japon s’intéressa à l’Afrique aussi par des liens diplomatiques avec la création de la Société africaine en 1958 par le ministères des Affaires étrangères japonais. En 1965, Hani Susumu réalisa La chanson de Bwana Toshi (Bwana Toshi no uta), un film qui met en scène un Japonais qui vit au Kenya pour y préparer l’implantation d’une entreprise japonaise. Le film montre la difficile adaptation d’un Japonais dans la culture kényane. Ce film fut tourné au Kenya après son indépendance en 1963, et fit découvrir une image de l’Afrique aux Japonais.

La chanson de Bwana Toshi (1965)
La chanson de Bwana Toshi (1965)

Depuis 1993, le gouvernement japonais aide l’Afrique avec le TICAS (Tokyo International Conference on African Development).

La diversité au Japon.

Le Japon a une politique stricte sur l’immigration, et un puissant lobby nationaliste (le Nippon Kaigi), mais il y a une petite minorité noire au Japon.
En 2010, le pays comptait 12 100 Africains, venus essentiellement du Ghana, du Nigeria et de l’Égypte, et en tout le Japon avait moins de 2% d’étrangers dans un pays de 128 millions d’habitants. * La population noire ne se limite pas aux Africains car il y a aussi des Européens et des Américains Noirs, des Caribéens venus vivre au Japon.
Au Japon, les enfants Japonais nés d’une union entre un Japonais et un non-Japonais sont surnommés hafus. Ce mot vient de l’anglais half (moitié). Le mot blasian est utilisé pour les enfants nés d’une union entre un Asiatique et un Noir. Blasian est la contraction de black et asian (noir et asiatique).
Parmi la minorité Noire et métisse au Japon, il y a des des sportifs, des intellectuels… célèbres et médiatisés pour leur réussite.
La tenniswoman Naomi Osaka née d’une mère Japonaise et d’un père Haïtien Noir. L’athlète Japonais Abdul Hakim Sani Brown a un père Ghanéen et une mère Japonaise. L’athlète Asuka Cambridge a un père Jamaïcain et une mère Japonaise.
En 2015, Ariana Miyamoto fut élue Miss Japon. Son père est Américain Noir et sa mère est Japonaise.
En 2018, Oussouby Sacko, un universitaire Malien (professeur d’architecture), est le premier Africain à être élu président d’une université japonaise, à Kyoto Seika après s’être installé au Japon en 1991.

 

Pour conclure, s’il y a peu de personnages Noirs dans les mangas, c’est parce qu’il y a peu de Noirs au Japon, et de fait auteurs et lecteurs au Japon n’attendent pas de les voir représentés dans les mangas. Ces questions sont présentes aux États-Unis, en France, en Angleterre où il y a une diversité liée à des phases de l’Histoire (esclavage, colonisation, immigration), mais pas au Japon qui a une histoire différente avec l’Afrique ou les Caraïbes, et son immigration. Toutefois comme dans d’autres médias, la représentation des personnages Noirs dans les mangas a changé avec l’évolution des mentalités et des lois dans le monde.
L’avenir dira si les Noirs, les Hafus seront plus représentés dans les mangas.

 

Sources :

* https://www.parismatch.com/People/Au-Japon-Black-is-beautiful-1436969

Zoom Japon 76 : Japon-Afrique sur la bonne voie (décembre 2017 – janvier 2018).

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